dimanche 10 juin 2012

Witxes - Sorcery/Geography


Date de sortie : 8 mai 2012 | Label : Humanist Records

La première fois qu'on a entendu Maxime Vavasseur, c'était à la guitare au sein du combo post-metal СОЛЯРИС (prononcer "Solyaris") remarqué en 2010 pour sa participation à la prestigieuse compilation Falling Down II, dans la foulée d'un EP instrumental aussi tendu qu'élégant toujours téléchargeable librement via Bandcamp. Auparavant, il y avait eu Haunted Candy Shop et le beau Pray For A Light To Come In (2006) qui voyait déjà le futur Witxes lorgner ponctuellement sur un post-rock atmosphérique voire même des prémices drone-ambient, entre deux ballades chamber pop entrecoupées de saillies électriques influencées par les hymnes lyriques de Jeff Buckley ou du Radiohead de The Bends.

Ces deux expériences de groupes passés à côté du succès ne sont sans doute pas pour rien dans le choix du Lyonnais de se lancer en solo en 2010 avec Scrawls #01, fausse compilation et vrai coup de maître à la croisée d'un drone sismique et d'une ambient plus éthérée. Exit le chant et les rythmiques, même les guitares s'y faisaient plus discrètes, Maxime optant dès lors pour une matière première constituée de nappes analogiques et de fied recordings maltraités pour un résultat à la fois massif et impressionniste, tantôt saturé et oppressant ou plus délicat et contemplatif.

Vu sur scène à l'époque en première partie de Tim Hecker, on avait ainsi décelé en Witxes un potentiel héritier du Canadien, supputation confirmée par les 26 minutes grondantes et radiantes de l'EP Winter Light Burns sorti en début d'année sur le netlabel Feedback Loop du Portugais Leonardo Rosado. Mais si l'auteur d'Harmony In Ultraviolet s'est dernièrement éloigné de l'inspiration plus monolithique qu'on lui connaissait avec l'acclamé Ravedeath, 1972 qui faisait l'an dernier la part belle à la mélancolie nébuleuse et hantée d'un piano préparé (et semble avoir marqué à son tour de sa fascinante instabilité tectonique le titre Thirteen Emeralds de ce Sorcery/Geography), la mue s'avère encore plus radicale pour Witxes, dont les murs de son laissent désormais place à des compositions plus amples et arrangées, nourries à l'acoustique autant qu'au jazz.

Sorcery/Geography... on trouvait justement sur l'artwork de Scrawls #01 une série de "coordonnées magiques", comme pour localiser les divers espaces imaginaires évoqués par les instrumentaux de l'album... à moins qu'il ne s'agisse tout simplement des lieux où les morceaux ont vu le jour, les positions étant toutes situées entre Paris et Lyon. Quoi qu'il en soit, le concept de ce nouvel opus se révèle identique (avec un détour par Brisbane, fief de Lawrence English qui s'est chargé du mastering et de son fameux label Room40), celui de cartographier un univers fantasmé se jouant plus que jamais des frontières entre rêve et réel, sound design et instrumentation, textures et mélodies, narration et abstraction.

Lors d'une récente interview accordée à Noise Mag, Maxime laisse imaginer l'importance qu'a pu avoir Talk Talk sur son parcours musical en solitaire. On aurait aussi bien pu citer Gastr Del Sol (pour le dépouillement quasi atone du piano sur fond d'interférences glitch de Dead Reckoning), Labradford (pour l'élégance des guitares aériennes d'After The Horsefight) voire Bohren & Der Club Of Gore (pour le spleen jazzy aux effluves rétro de Somewhere), mais il est vrai qu'à quelques semaines de la sortie d'un tribute très attendu aux contributeurs prestigieux, on se prend à rêver, à l'écoute de l'ambitieux Unlocation et de ses cascades de percussions en liberté, à ce qu'aurait pu donner Myrrhman ou New Grass à la sauce Witxes (et plus généralement à une tracklist où les ténors de l'ambient "organique" d'aujourd'hui se tailleraient la part du lion).

Car l'album entier, à l'image des précurseurs anglais du post-rock sur le cultissime Laughing Stock - et de Scrawls #01, déjà, à sa manière - joue du contraste entre pics d'intensité aux arrangements foisonnants, une dramaturgie qui culmine sur la tension cinématique et anxiogène de The Reason, et respirations plus épurées où la simplicité des mélodies reprend le dessus. Le disque se termine ainsi sur le face-à-face guitare/voix du bluesy No Sorcerer Of Mine prônant l'effacement, la disparition à la façon de Mark Hollis... sur un certain Runeii ? Au fil des titres, il aura été question de raison mais aussi d'un sorcier, d'un quelque part et d'une non-location, de canyon improbable et de dunes d'acier, de calcul mort et de science erronée. Mais des empilements de saxo narcotiques de Canyon Improbable aux mirages solaires et chancelants de Misscience en passant par les abysses interstitielles de The Reason, Sorcery/Geography tend avant tout à confronter mystique et rationalité pour mieux les concilier dans les fumerolles bucoliques de sa pochette.

Un voyage initiatique qui ne pouvait aller sans quelques moments d'angoisse existentielle pour l'auditeur, mais finit par lui offrir au terme des errements synthétiques de Dunes Of Steel l'opportunité de toucher du doigt le genre de révélation qui a conduit plus d'un sculpteur d'Olympe sonique à la retraite monastique anticipée, de Dave Pearce à Stina Nordenstam en passant évidemment par l'archange Mark Hollis en personne : Dieu, en musique, est dans la main de celui qui a foi en l'humanité mais ne joue que pour lui-même.

Rabbit

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