mercredi 18 juillet 2012

Kshhhk - s/t


Date de sortie : 10 juillet 2012 | Label : Xtraplex

En attendant que Kvitnu remette les bouchées doubles ou que Stroboscopic Artefacts nous gratifie d'un ou deux formats longs à la hauteur de ses séries d'EPs, ne cherchez pas plus loin le label électro de l'année. Révélation pour beaucoup au gré des ses dernières sorties signées Olkin Donder, Sluggart ou Ynoji, Xtraplex a vu le jour en 2011 avec l'ambition de cristalliser l'excellence d'une scène belge tragiquement mésestimée. Même si jusqu'ici la palme en revient à l'Italien Monade et son monumental Pt#9, l'objectif semble définitivement atteint. Avec dans le collimateur des beatmakers aussi audacieux que Bang Haas, Sk'p ou Cyan Sun, sans parler des soundscapes plus insidieux de Virlyn, Kingstux ou Etherik, la petite structure chapeautée par le Gantois Laurentz Groen - également graphiste maison sous le pseudo Han Leese - n'a pas fini de briller dans les champs du glitch cybernétique, de l'IDM organique, du dubstep astral ou de l'ambient déstructurée. Pour y voir plus clair, on vous renvoie vers cette interview du bonhomme qui en dit long sur ses convictions de défricheur désintéressé. Toutes les sorties d'Xtraplex sont ainsi téléchargeables à prix libre via Bandcamp, à commencer par cette compilation séminale prête à stimuler comme il se doit votre ganglion géniculé.

Mais venons-en à Kshhhk. Il se pourrait que l'on sache qui se cache derrière cette mystérieuse identité et qu'il n'en soit pas à son premier coup de maître cette année. Il se pourrait aussi que percer le secret n'ait pas la moindre importance au regard du concept résolument nébuleux qui préside à cette suite aussi abstraite qu'avant-gardiste, où le beatmaking passe régulièrement au second plan d'un travail sur les textures poussé dans ses retranchements les plus singuliers, au diapason d'un artwork aux couches pastel superposées. A-t-on affaire à une création originale ou au remixage déconstructiviste d'une ou plusieurs œuvres déjà existantes ? Pour ce qu'on en sait, ces 8 titres parfaitement emboîtés pourraient tout aussi bien venir droit de l'espace, transmis par quelque émetteur extradimensionnel avant d'être soumis aux distorsions magnétiques d'un trou noir. Le label avance même l'idée d'une session générée en temps réel par une intelligence artificielle inconnue qu'auraient captée par hasard ses antennes inquisitrices, et à dire vrai il est parfois difficile d'imaginer qu'une telle déferlante d'interférences stellaires puisse être le fruit d'un esprit partageant pleinement notre idée de la rationalité.

"Où que tu sois", affirme la piste d'ouverture, et d'emblée la musique de Kshhhk s'emploie à balayer de ses rayonnements ionisants toute l'immensité de l'espace en quête d'une oreille attentive, à moins qu'il ne s'agisse plutôt pour l'énigmatique entité de tendre la sienne, puisqu'il faudra attendre que nous parvienne par bribes le chant plaintif d'une fillette des Balkans au milieu du flot des grouillements cosmiques pour que la mécanique d'un vortex artificiel se mette en marche, encodant en flux de pulsations mathématiques les données analogiques du passager dématérialisé pour un embarquement immédiat en direction de notre dimension. Le trajet en vitesse lumière est cahotant voire chaotique mais de courte durée, tout juste le temps de voir défiler quelques rais de photons étirés sur des millions de kilomètres au son des balises de sécurité, mais à l'arrivée rien ne fonctionne comme prévu, la technologie s'emballe et les capteurs deviennent fous, le briefing est approximatif et les conditions inconnues, notre explorateur désincarné est dans le flou.

C'est alors que commence la prospection dans notre étrange système solaire (At Kshhhk Gardenz), les beats implosant comme autant d'ondes de choc tandis que des sondes propulsées à intervalles réguliers dans toutes les directions zèbrent l'obscurité du cosmos en quête de surfaces où s'écraser et de traces de vie à consigner. Les images affluent déjà de toutes parts lorsque l'évènement se produit : l'un des engins, au lieu de heurter la roche dans un fracas métallique, vient s'enfoncer dans un lit de matière organique (The Not So Much Space Place). Colorimétrie : un spectre inhabituel, situé entre le bleu et le jaune... curieusement reposant. Surface : meuble, irrégulière et tapissée d'organismes eucaryotes dénués de mobilité. Avec une vélocité, une froideur et une ténacité toutes mécaniques, le système d'analyse se met en branle (Where Pixelated Dandelions Bloom), mesurant chaque donnée à sa portée, de la composition de l'atmosphère ambiante à la fréquence des processus de synthèse biochimique.

Et soudain survient le phénomène. Une épiphanie qui fait taire les senseurs dans un souffle. Un miracle banal pour nous autres humains mais dont le voyageur et son super-calculateur ne peuvent qu'effleurer l'éphémère beauté. Un épanouissement de vie et de couleurs qui pour ces spectateurs d'un instant ne revêtira d'autre nom que celui que leur imaginaire limité aura bien voulu leur évoquer. Mutation physiologique, induction pluricellulaire, le vert laissant place au jaune avec une lenteur consommée qui aux yeux d'une A.I. venant de traverser une bonne moitié de l'univers semble filer avec la fugacité d'une comète. Une fleur vient d'éclore, l'existence a pris sens et les robots rêvent désormais de pixels organiques (And Glitched Minds Find Rest), soudainement au fait de leurs indicibles carences. L'appel de l'espace a donné naissance au spleen cybernétique, et bientôt l'être digitalisé entrapercevra son passé effacé des archives numérisées, et l'homo sapiens le fruit de ses ambitions déshumanisées. La leçon fut sidérale et non moins sidérante... fin de transmission.

Rabbit



On vous le disait en début d'article, l'idée de partage et de libre diffusion est primordiale pour Xtraplex et ses artistes. Le label nous invite ainsi à télécharger l’œuvre et à la sampler, la malmener et la réinventer, dans nos rêves ou sur nos softwares de producteurs en herbe. Ce qui bien sûr n'exclut pas une petite donation en cas d'affinité, même le plus esthète des ascètes du cosmos ne pouvant se contenter tout à fait de nourriture spirituelle. A bon entendeur.

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