mercredi 3 octobre 2012

Babalith - Xibalba Mannequins


Date de sortie : 13 septembre 2012 | Label : Sombre Soniks

A la tête du collectif Abismo Humano, André Consciência y révèle depuis 2008 par le biais d'une revue, d'un blog, d'un forum et même d'une radio les talents portugais de la scène gothique contemporaine, creusant jusqu'aux prémices culturelles voire ethniques de cet univers brillant par la pluralité de ses influences. Une autre façon d'admettre que tout n'est pas forcément à notre goût sur la première compilation officielle de cette association devenue label à part entière, ce qui ne nous empêchera pas de garder un œil de très près sur certains de ses intervenants - citons notamment Terra Oca, quatuor de Porto dont le titre fleuve Le Soleil des Aimants mène sur près de 9 minutes un rituel occulte des plus fascinants, empruntant au bruitisme, à la musique industrielle ou encore au free jazz.

Au générique de ce manifeste généreusement achalandé, avec un courte ode au roi de Norvège Óláfr Haraldsson (célèbre pour avoir réprimé le paganisme au profit du christianisme à l'aube du second millénaire), figure également Babalith qui n'est autre que l'incarnation musicale du curateur lui-même. Un projet aux personnalités tout aussi multiples, avec pour constante l'ambition d'altérer la conscience de l'auditeur, de lui faire vivre un voyage sensoriel parfois proche de l'expérience transcendantale. Le récent Flute Of LAM en est une bonne illustration, avec ses longs tourbillons de modulations pulsées jusqu'au vertige, tandis que Follow The River s'intéresse davantage aux rites mésoaméricains, entre psychédélisme tribal et communion avec les esprits du fleuve sauvage ou de la forêt vierge. Quant au tout chaud Under Cover, il présente d'étranges relectures dans un format plus "pop", allant de tubes tels que Stand By Me ou le Wicked Game de Chris Isaak à la BO d'Edward aux mains d'argent signée Danny Elfman, mais privilégiant comme il se doit les corbeaux de tous horizons - mentions à Nine Inch Nails, The Cure, Love And Rockets, The Sisters Of Mercy, Anathema ou encore Garbage que Babalith reprend avec force distorsions oniriques, à la croisée d'une ambient minimaliste, d'un rock indus neurasthénique et d'un folklore pour contes noirs.

Toutefois, sur Xibalba Mannequins, c'est avec les racines dark ambient du projet que renoue Consciência, esthétique de l'écurie Sombre Soniks oblige. On pourrait disserter longuement sur le label que l'Anglais Priapus 23 emploie depuis l'an dernier à l'exploration des rapports étroits qu'entretiennent musique, nature et mystique, versant ésotérique et ténébreux comme il se doit. Contentons-nous donc de diriger l'auditeur curieux vers quelques-uns des derniers faits d'armes de la petite structure, des anticipations chamaniques de Colossloth aux élégies fantomatiques de Grey Light Shade, en passant par ce sampler assez représentatif des thématiques abordées ou encore la 4ème installation des gargantuesques compils qui rythment tous les 6 mois ses funestes activités avec, outre Babalith et la drôle de messe noire psyché de Prayer To Ishtar, un autre morceau particulièrement immersif et imposant des sus-nommés Terra Oca, narré cette fois encore en français.

Mais revenons à l'album qui nous occupe ici. Faute d'avoir écumé la vingtaine de références déjà disponibles en libre téléchargement sur la page Bandcamp de Sombre Soniks, on aurait tort de trop s'avancer et pourtant, difficile d'imaginer que les sorties à ce point anxiogènes puissent être légion au catalogue du label anglais. Passée l'introduction qui nous fait traverser le Styx au son des clapotis fangeux de ce fleuve de désolation et des cuivres sentencieux des cerbères qui en gardent le débarcadère, les chants de sirènes insidieux qui nous attirent vers l'abîme depuis la croisée des chemins dans le ressac des vagues malmenées par les vents mauvais et autres bourrasques drone aux allures de corne de brume ne sont pas sans rappeler ceux des stryges qui sillonnent le manteau de nuit du label norvégien Miasmah - un paganisme nordique réminiscent d'un âge obscurantiste qui semble décidément avoir marqué le Portugais. Nous voici de l'autre côté, à nous enfoncer dans les méandres souterrains du royaume des dieux mayas, simples marionnettes à la merci de la mort et de la maladie qui gouvernent ce lieu hanté.


Au bout du dédale de bourdons, les purgatoires se succèdent comme autant de manifestations de l'esprit, et leurs bestiaires animés par quelque magie délétère tirent leur forme et leur matière des vapeurs de soufre, tantôt incarnations de nos peurs primales ou symboles de nos craintes existentielles les plus profondément enfouies. De la maison des lames aiguisées qui tombent sans prévenir telles des couperets, provoquant les babillages apeurés des suppliciés, à celle des chauve-souris suceuses de sang dont les sonars stridents lacèrent nos tympans comme autant de canines effilées sous une voûte rocheuse prise de convulsions sismiques, l'atmosphère s'installe, glaciale et fataliste. Mais déjà, affolées, les créatures de nuit aux yeux atrophiés fuient devant les feulements du Dieu Jaguar, soleil noir et peur incarnée pour la civilisation qui a jugé bon de nous offrir en sacrifice à ce gouffre béant perdu au fin fond de la jungle d'Amazonie, déversoir de nos pires cauchemars.

Brassant le chaud et le froid, souffle mordant et magma ectoplasmique mêlés, les âmes damnées de cette antichambre des Enfers traînent leur chaînes tintinnabulantes et le désespoir de leur plaintes spectrales dans la pénombre humide, en quête d'oreilles compatissantes et de sang à glacer. Surtout rester sourd à leurs appels, ne pas les rejoindre, avancer l'esprit vide, avaler les kilomètres de néant jusqu'à la lueur, ce mince espoir qui se reflète de stalagmite en stalagmite, autant de mannequins opalins encadrant l'improbable sortie d'où émanent les voix déformées des vivants, comme si le temps, là haut, marchait au ralenti. L'espoir, dernier enfer avant le précipice, nous voilà suspendus entre l'éclat fugace et le fondu au noir sans fond, pour une belle et douloureuse éternité.

Rabbit

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