vendredi 11 janvier 2013

Interview from the heart of darkness : 11/ Larme Superficielle

 

Il sera pas mal question de Jean Eustache dans l'interview qui va suivre. Comme le cinéma de cette figure emblématique de la nouvelle vague, la musique de Rodolphe Bradatchova est tout à la fois crue et poétique, froide et sensible, romantique et tourmentée. En témoignait en 2011 l'EP So Nude, qui réussissait le petit exploit de nous tirer des larmes tout sauf superficielles en samplant Fernandel sur fond d'accords mélancoliques aux confins de la cold wave et du post-rock. Un EP sorti sur Linge Records, label à repasser de l'excellent Stolearm croisé il y a peu parmi nos interviewés et au générique du premier volet A noise at the end of the tunnel de notre compilation en construction, mais pour la suite, après Perdre le control qui figurera quant à lui sur la quatrième partie du projet intitulée In limbo, l'ex Rosamer habitué à écumer les scènes lyonnaises guitare au poing se cherche en label avec un LP en ligne de mire. Et l'ambition de faire de Larme Superficielle une véritable formation, après avoir repris goût à la dynamique de groupe au côté de la chanteuse Moon et du bassiste/guitariste Jack S Xander dont vous pourrez bientôt enrendre les contributions fantomatiques sur cet hommage non dissimulé à Joy Division.



L'interview

- Des Cendres à la Cave : Que trouve-t-on dans ta cave - ou dans l'endroit où ta musique prend corps ?

Rodolphe Bradatchova : Un mur du son. Je joue très fort, j'en ai besoin. Un endroit à la fois sombre et lumineux. J'aime bien les paradoxes !
Une affiche du film La maman et la putain, une photo de Ian Curtis, une affiche de Vivaldi et un tableau que j'ai fait quand j'étais petit. La vierge au rocher version Dali.

- On a pu te croiser au sein de nombreux groupes à guitares de la région lyonnaise avant la naissance du projet Larme Superficielle, qu'est-ce qui a motivé ce départ en solo ?

Franchement ? Le manque de motivation de certains musiciens. Après The Deadly Toys, Magic Bus, Pilot et Rosamer, petit à petit j'ai vu les musiciens déposer leurs armes. Un noyau qui s'effrite, se fragilise. En même temps, je comprends ! Être disponible pour un groupe c'est ne pas être disponible pour autre chose, cela demande pas mal de concessions. Les tournées, le management, les enregistrements (dormir pendant une semaine dans un bus sur un parking pour ne pas payer l'hôtel).
Non rien de rien, non je ne regrette rien !
A ma connaissance, de toute la bande des Lyonnais, j'en connais très peu qui ont continué.
Je pense aussi qu'à un moment de notre vie on nous a donné une lumière. Tu la gardes ou tu la rends.
Quand tu l'as cette lumière, il faut la garder pour pouvoir la transmettre. C'est là que j'ai compris que c'était réellement compliqué de faire de la musique. Je ne pourrais jamais arrêter. Je préfère être seul que sans elle.


- Ta musique mêle froideur et romantisme dans la lignée cold wave de Joy Division auquel tu rends hommage avec le morceau composé pour notre compilation. En quoi te reconnais-tu dans ce mouvement ?

Caresser l'espoir d'une lumière au bout d'un long tunnel. Un certain espoir dans le désespoir. Un déséquilibre en équilibre. Encore un trouble dans l'ambiguïté.
Ian Curtis c'est l'image de ma solitude, de mes doutes, de mes faiblesses et de mes peurs. De mes amours parfois.
Il y a une forme de spiritualité et de la mélancolie dans cette musique. Allez, je citerai quelques noms pour le plaisir. Isidore Ducasse, Charles Baudelaire, Boris Vian, Paul Verlaine, Jean Fauque pour Alain Bashung. Tous ces poètes maudits.
Sans absinthe. J'aime cet état qui t'emporte, te transporte. Par delà les abysses, au dessus des vergers. Aucun express ! Sans concessions !
Avec les groupes de cette compilation, nous avons au moins une chose en commun : notre musique n'est pas toujours facile d'accès. Je le reconnais, sans pour autant parler d'élitisme. Cela reste quand même une musique populaire. C'est une musique qui souffre, qui respire. J'aime que les choses me remuent les entrailles. Les gens ont souvent peur de se remuer l'intérieur. Moon a une phrase magnifique de Jean Eustache : "J'ai souvent souhaité un nouveau réveil, pour renaître, tout ressentir à nouveau, les joies, les peines et tout et tout. Je crois aujourd'hui ce réveil trop grand ou trop dangereux pour l'homme que je suis. Cette porte vers la félicité qui me visite dans mes rêves, peut je crois n'être que celle de la mort." Au début cette phrase me faisait peur. Elle est si sombre, si noire et si désespérée. C'est très nihiliste aussi, mais tellement réaliste ! Surtout quand tu veux rester dans la contre-allée. David Lynch lui a dit : "Si je n'avais pas fait du cinéma, je serais devenus fou ! Rendez-moi mon canard jaune en 35 mm !"
Tu sais un nouveau morceau c'est un peu comme un nouvel amour, une page blanche à écrire.
On ne se connaît pas. Tout est fragile, tout est à venir pour enfin devenir. Et puis quand tout est dans la boîte, prêt à partir, c'est à ce moment là que tu connais ou pas l'orgasme. Il peut être multiple, d'où l'importance de le partager. C'est là que je garde la foi qui m'anime. Au moins pouvoir espérer, caresser l'espoir d'une utopie.

- Quelles sont tes autres musiques de chevet ?

J'écoute souvent de la musique baroque avant de m'endormir.

- Si tu devais associer ton morceau à une image, quelle serait-elle ?

Deux êtres qui tentent en vain de s'aimer dans un monde impossible et qui finissent par perdre le contrôle. Par amour, par pure folie.

- Tu as invité plusieurs collaborateurs pour enregistrer Perdre le Control, le morceau en question. Peux-tu nous les présenter en quelques phrases ?

Alors : Jack S Xander, bassiste/guitariste de Red City Noise (Lyon), futur prof de cinéma ! Et Moon aux backing vocals (St Etienne), photographe amateur. Deux êtres avec qui j'avais envie de partager un moment unique. Deux êtres uniques aussi. Deux êtres qui ont une même sensibilité. Deux êtres qui partent un peu dans tous les sens dans leurs émotions (pas toujours facile à gérer les émotions !) mais deux êtres que j'admire beaucoup, merci à eux ! Sans eux je pense que le morceau aurait été bien moins fou. A refaire...
A l'avenir et à l'humanité.

- Par ailleurs, ta voix sur ce titre est moins en avant qu'à l'accoutumée et se fond véritablement dans les textures, doit-on s'attendre à quelque chose de moins frontal pour ta prochaine sortie ?

Ce n'était pas volontaire au départ, c'est au mastering que l'on s'est aperçu que les voix étaient derrière. Mais je crois que cela ne nous a pas déplu.
J'ai aussi voulu mettre les guitares de Jack S Xander devant, ça c'est volontaire ! Et au mix j'ai privilégié la voix de Moon sur certains passages. A la fin je voulais entendre ce "where have they been" avec sa voix de femme. Même si les textes sont très importants, j'aime bien choisir les mots pour leur sonorité et pas forcément pour leur sens.
Le prochain LP sera plus expérimental, moins frontal comme tu le dis si bien ! Encore un album qui se rapprochera un peu plus de la félicité.
Encore ce côté spirituel que j'aimerais développer. Aller chercher encore plus loin au plus profond de soi. Cette vérité, cette chose que l'on a tous à l'intérieur.
Cet album sera encore plus humain, un peu moins personnel. Enfin, j'ose l'espérer !
Pour l'anecdote, j'ai fait un morceau drone. Un hymne, une symphonie. Ce morceau fait 6 minutes, mais !... car il y a un "mais", Moon doit poser des voix dessus. J'aime cette cette longue dualité entre le féminin/masculin, et j'espère que Jack arrivera à me faire dépasser les 8 minutes.

- Ta veillée de fin du monde [ndlr : un peu en retard, c'est notre faute !], tu comptes la passer comment ?

Soyons cynique : en regardant Melancholia ! C'est d'actualité non ? Ou devant un film de David Lynch peut-être!

- Et si on en réchappe, quel sont tes plans pour 2013 ?

Refaire du théâtre, ça c'est sûr ! Finir le bouquin de Philippe Robert sur les musiques expérimentales.
Mais avant tout, trouver un label et un tourneur pour le prochain LP.
Refaire une première partie avec The Legendary Pink Dots.
Que Larme Superficielle devienne un vrai groupe, avec plusieurs musiciens.



Le cadeau de Larme Superficielle

On parlait de Jean Eustache, c'est justement à lui qu'est dédié ce morceau du même nom construit autour de la citation sus-mentionnée par Rodolphe, qui nous en dévoile la démo lancinante et crépusculaire en avant-première. Prometteur !




Quelques liens

- Larme Superficielle sur Facebook / Myspace / Reverbnation
- l'EP So Nude chroniqué sur IRM



Propos recueillis par Rabbit

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