mardi 23 avril 2013

Terminal Sound System - A Sun Spinning Backwards


Date de sortie : 19 avril 2013 | Label : Denovali Records

Deuxième sortie estampillée Denovali pour Terminal Sound System depuis Heavy Weather en 2011 mais neuvième album depuis 1999, A Sun Spinning Backwards continue à côtoyer la perfection effleurée depuis les débuts de cette entité mystérieuse et australe dont la musique ne cesse d’intriguer. Comme si Skye Klein avait la capacité – le don ? – de scanner l’ensemble de notre discothèque pour en extraire ce qui nous touche le plus, ce qui nous fait vibrer sans que nous en soyons d’ailleurs toujours conscients, des choses que l’on ne savait même pas que l’on aimait ou que l’on avait tout simplement oubliées. Il sait mettre le doigt sur des bouts épars piochés ici et là, des moments épiques, d’autres plus intimistes, d’autres encore plus enlevés et ré-agence tout cela dans des morceaux qui n’ont pas forcément beaucoup de points communs entre eux mais qui, une fois mis bout à bout, confèrent pourtant un aspect monolithique à l’ensemble. Quelque chose comme ces silhouettes aux mensurations fantasmées qui hantent le moindre bout de papier glacé : trop belles pour être vraies. On sent rôder l’ombre d’un Photoshop derrière cette architecture millimétrée, on se dit que ça ne peut être vrai, qu’un faux pas révélera la supercherie mais non, rien n’arrive. On résiste mais on adhère, on se dit que ça manque d’aspérité mais ça coule en soi, ça s’insinue. On se dit également que l’on va se lasser mais non, là aussi, le disque tient fièrement debout, bien campé sur ses jambes de rêve et on ne peut pas faire autrement que le contempler. On aime quand ça cherche, quand ça se cherche, quand ça tombe par terre pour mieux se relever, quand ça crisse, quand ça racle et quand ça vit. On n’a pas envie d’adhérer à quelque chose de si lisse, de si fuselé, de si... parfait. Mais rien n’y fait, dès les premières secondes, on est captif, pris dans ces filets sombres et majestueux que le disque déploie insidieusement. Pourtant, encore un paradoxe, il aura fallu plusieurs écoutes pour savoir qu’en penser. On sait qu’on aime mais on ne sait pas pourquoi. Il faut bien détricoter l’ensemble pour qu’un semblant d’explication affleure. Et encore. Est-ce ces nappes de claviers sombres et imposantes ? Ou ce soubassement doom des plus écrasants ? Ces percussions alertes peut-être ou ce piano qui apparaît par intermittence et distille ses gouttes de spleen avec élégance ? Ou alors ces cliquetis synthétiques et obsédants ? Bien sûr, c’est tout cela en même temps. Et puis sans doute aussi l’évidence mélodique, ce côté accueillant conjugué à une aura noire aux matités fluctuantes : tantôt épais brouillard à couper au couteau, tantôt subtil voile gris qui recouvre les enluminures à la manière d’une fine couche de poussière que le vent disperse mais ne fait pas disparaître.

Extrêmement atmosphérique, la musique de Terminal Sound System semble débuter ici et maintenant, avec A Sun Spinning Backwards, son grand voyage dans l’espace, son épopée cosmique : le chant des nébuleuses, le long cri silencieux et libérateur d’un trou noir, le crissement de l’énergie cinétique que déploie un bout de tôle se frottant à un morceau de métal froid, le grondement silencieux d’une nova qui se disloque dans des agrégats de lumières froides ou les tambours fracassants du vent solaire. C’est noir et lumineux à la fois, froid et feutré, immobile et mouvant. Majestueux. Le disque nous perd dans les recoins les plus reculés de l’infiniment grand et saute d’une galaxie à l’autre avec une facilité déconcertante. Un grand nombre de genres s’y mêlent : indus et électronique, space rock et doom, post-rock et metal, jazz et classique, dark ambient et minimalisme. Tout cela est pulvérisé, atomisé, réduit en particules s’insinuant parfaitement dans l’agrégat sonore sans le dénaturer comme une nuée d’insectes synthétiques dessinant des figures abstraites aux contours flous mais dont on distingue pourtant parfaitement la forme générale. Un mélange baroque qui ne déborde pas et reste concentré, qui suggère mais n’assène pas. Dans ces conditions, dire de ce disque qu’il fait voyager est un euphémisme. Dès Deep Black Ash, parfaite introduction sombre et tendue, le disque propulse tripes et cerveau dans une dimension parallèle où le nombre d’années-lumière importe peu, l’exploration se fait lointaine, le temps semble se dilater. D’ailleurs tous les titres sonnent exactement comme ce à quoi leur lecture fait penser : Oceans est ainsi parfaitement aqueux, Clearlight avec ses boucles synthétiques obsédantes, ses percussions feutrées mais incisives et son piano timide exsude un vent solaire qui magnétise l’épiderme, ce même piano qui prend des allures plus solennelles et se pare des crépitements d’un feu qui a déjà tout consumé avant d’être rejoint par des nappes majestueuses le temps d’un Theme For Scorched Earth, beau requiem à la détresse sincère et communicative. Neuf titres durant, Skye Klein se met à nu avec un sens du détail vraiment impressionnant. En focalisant sur le soleil, il semble parler avant tout de lui-même et son humeur n'est pas franchement des plus guillerettes sans être non plus dramatiquement sombre. Les photons transpercent d'ailleurs assez souvent le froid sidéral – le piano de A Perfect Reflecting Sphere est par exemple bien plus détendu qu'inquiet – et contribuent à aérer l'ensemble qui, sans ça, serait sans doute un poil trop massif. Les multiples changements de rythmes d'un morceau à l'autre participent également à l'éradication du moindre surplus de graisse pour ne garder que les nerfs et le muscle.

Ce n'est pas encore avec celui-ci que Skye Klein se rapprochera de l'anecdotique et même, avec ses multiples niveaux de lecture, ses couches soigneusement empilées, A Sun Spinning Backwards le voit expérimenter la densité et jouer avec ses variations. Un truc à faire tourner le Soleil en sens inverse ? Pas sûr, mais au moins de quoi accompagner notre course autour de lui, en particulier lorsqu'on se rapproche des solstices et que les nuits débordent sur les jours.

La perfection n'existe pas, mais là, tout de même, Terminal Sound System n'en est vraiment pas loin.


leoluce

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